Accueil du site > Fables de La Fontaine > Livre XI > Le fermier, le chien, et le renard

Le conte précédent : Les dieux voulant instruire un fils de Jupiter


Le fermier, le chien, et le renard

Le Loup et le Renard sont d’étranges voisins :
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Ce dernier guettait à toute heure
Les poules d’un Fermier ; et quoique des plus fins,
Il n’avait pu donner d’atteinte à la volaille.
D’une part l’appétit, de l’autre le danger,
N’étaient pas au compère un embarras léger.
Hé quoi ! dit-il, cette canaille
Se moque impunément de moi ?
Je vais, je viens, je me travaille,
J’imagine cent tours ; le rustre, en paix chez soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie
Ses chapons, sa poulaille ; il en a même au croc :
Et moi, maître passé, quand j’attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joie !
Pourquoi sire Jupin m’a-t-il donc appelé
Au métier de Renard ? Je jure les puissances
De l’Olympe et du Styx, il en sera parlé.
Roulant en son coeur ces vengeances,
Il choisit une nuit libérale en pavots :
Chacun était plongé dans un profond repos ;
Le maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le Fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.
Le voleur tourne tant qu’il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :
Les marques de sa cruauté
Parurent avec l’Aube : on vit un étalage
De corps sanglants et de carnage.
Peu s’en fallut que le Soleil
Ne rebroussât d’horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d’un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride
Joncha son camp de morts : on vit presque détruit
L’ost des Grecs, et ce fut l’ouvrage d’une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax, à l’âme impatiente,
De moutons et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse
Et les auteurs de l’injustice
Par qui l’autre emporta le prix.
Le Renard autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu’il peut, laisse étendu le reste.
Le Maître ne trouva de recours qu’à crier
Contre ses gens, son chien, c’est l’ordinaire usage.
Ah ! maudit animal, qui n’es bon qu’à noyer,
Que n’avertissais-tu dès l’abord du carnage ?
- Que ne l’évitiez-vous ? c’eût été plus tôt fait :
Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi chien qui n’ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos ?
Ce Chien parlait très à propos :
Son raisonnement pouvait être
Fort bon dans la bouche d’un Maître ;
Mais, n’étant que d’un simple chien,
On trouva qu’il ne valait rien.
On vous sangla le pauvre drille.
Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille
(Et je ne t’ai jamais envié cet honneur),
T’attendre aux yeux d’autrui quand tu dors, c’est erreur.
Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.
Que si quelque affaire t’importe,
Ne la fais point par procureur.

Le conte suivant : Le songe d’un habitant du Mogol