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Histoire d’Aboulhassan Ali Ebn Becar et de Schemselnihar, favorite du calife Haroun Alraschild

 La deux cents deuxième nuit

APRES que la confidente eut marqué au joaillier la joie qu’elle avait de le voir si disposé à rendre service à Schemselnihar et au prince de Perse, le joaillier tira la lettre de son sein et la lui rendit, en lui disant : « Tenez, portez-la promptement au prince de Perse, et repassez par ici afin que je voie la réponse qu’il y fera. N’oubliez pas de lui rendre compte de notre entretien. »
La confidente prit la lettre, et la porta au prince, qui y fit réponse sur le champ. Elle retourna chez le joaillier lui montrer la réponse, qui contenait ces paroles :
RÉPONSE
DU PRINCE DE PERSE A SCHEMSELNIHAR.

« Votre précieuse lettre produit en moi un grand effet ; mais pas si grand que je le souhaiterais. Vous tâchez de me consoler de la perte d’Ebn Thaher. Hélas, quelque sensible que j’y sois, ce n’est que la moindre partie des maux que je souffre ! Vous les connaissez ces maux, et vous savez qu’il n’y a que votre présence qui soit capable de les guérir. Quand viendra le temps que j’en pourrai jouir sans crainte d’en être privé ? Qu’il me paraît éloigné ; ou plutôt faut-il nous flatter que nous le pourrons voir ? Vous me commandez de me conserver : je vous obéirai, puisque j’ai renoncé à ma propre volonté pour ne suivre que la vôtre. Adieu ».

Après que le joaillier eut lu cette lettre, il la donna à la confidente, qui lui dit en le quittant : « Je vais, Seigneur, faire en sorte que ma maîtresse ait la même confiance en vous qu’elle avait pour Ebn Thaher. Vous aurez demain de mes nouvelles. » En effet, le jour suivant il la vit arriver avec un air qui marquait combien elle était satisfaite. « Votre seule vue, lui dit-il, me fait connaître que vous avez mis l’esprit de Schemselnihar dans la disposition que vous souhaitiez. » « Il est vrai, répondit la confidente, et vous allez apprendre de quelle manière j’en suis venue à bout. Je trouvai hier, poursuivit-elle, Schemselnihar qui m’attendait avec impatience ; je lui remis la lettre du prince ; elle la lut les larmes aux yeux ; et quand elle eut achevé , comme je vis qu’elle allait s’abandonner à ses chagrins ordinaires : « Madame, lui dis-je, c’est sans doute l’éloignement d’Ebn Thaher qui vous afflige ; mais permettez-moi de vous conjurer au nom de Dieu de ne vous point alarmer davantage sur ce sujet. Nous avons trouvé un autre lui-même, qui s’offre à vous obliger avec autant de zèle, et, ce qui est le plus important, avec plus de courage. » Alors je lui parlai de vous, continua l’esclave, et lui racontai le motif qui vous avait fait aller chez le prince de Perse. Enfin, je l’assurai que vous garderiez inviolablement le secret au prince de Perse et à elle, et que vous étiez dans la résolution de favoriser leurs amours de tout votre pouvoir. Elle me parut fort consolée après mon discours. « Ha, quelle obligation, s’écria-t-elle, n’avons-nous pas, le prince de Perse et moi, à l’honnête homme dont vous me parlez ! Je veux le connaître, le voir, pour entendre de sa propre bouche tout ce que vous venez de me dire, et le remercier d’une générosité inouïe envers des personnes pour qui rien ne l’oblige à s’intéresser avec tant d’affection. Sa vue me fera plaisir, et je n’oublierai rien pour le confirmer dans de si bons sentiments. Ne manquez pas de l’aller prendre demain, et me l’amener. » C’est pourquoi, Seigneur, prenez la peine de venir avec moi jusqu’à son palais. » Ce discours de la confidente embarrassa le joaillier. « Votre maîtresse, reprit-il , me permettra de dire qu’elle n’a pas bien pensé à ce qu’elle exige de moi. L’accès qu’Ebn Thaher avait auprès du calife, lui donnait entrée partout, et les officiers qui le connaissaient, le laissaient aller et venir librement au palais de Schemselnihar ; mais moi, comment oserais-je y entrer ? Vous voyez bien vous-même que cela n’est pas possible. Je vous supplie de représenter à Schemselnihar les raisons qui doivent m’empêcher de lui donner cette satisfaction, et toutes les suites fâcheuses qui pourraient en arriver. Pour peu qu’elle y fasse attention, elle trouvera que c’est m’exposer inutilement à un très-grand danger. »
La confidente tâcha de rassurer le joaillier. « Croyez-vous, lui dit-elle, que Schemselnihar soit assez dépourvue de raison pour vous exposer au moindre péril, en vous faisant venir chez elle, vous de qui elle attend des services si considérables ? Songez vous-même qu’il n’y a pas la moindre apparence de danger pour vous. Nous sommes trop intéressées en cette affaire ma maîtresse et moi, pour vous y engager mal-à-propos. Vous pouvez vous en fier à moi et vous laisser conduire. Après que la chose sera faite, vous m’avouerez vous-même que votre crainte était mal fondée. »
Le joaillier se rendit aux discours de la confidente, et se leva pour la suivre ; mais de quelque fermeté qu’il se piquât naturellement, la frayeur s’était tellement emparée de lui, que tout le corps lui tremblait. « Dans l’état où vous voilà, lui dit-elle, je vois bien qu’il vaut mieux que vous demeuriez chez vous, et que Schemselnihar prenne d’autres mesures pour vous voir ; et il ne faut pas douter que pour satisfaire l’envie qu’elle en a, elle ne vienne ici vous trouver elle-même. Cela étant ainsi, Seigneur, ne sortez pas : je suis assurée que vous ne serez pas longtemps sans la voir arriver. « La confidente l’avait bien prévu : elle n’eut pas plutôt appris à Schemselnihar la frayeur du joaillier, que Schemselnihar se mit en état d’aller chez lui.
Il la reçut avec toutes les marques d’un profond respect. Quand elle se fut assise, comme elle était un peu fatiguée du chemin qu’elle avait fait, elle se dévoila, et laissa voir au joaillier une beauté qui lui fit connaître que le prince de Perse était excusable d’avoir donné son cœur à la favorite du calife. Ensuite elle salua le joaillier d’un air gracieux, et lui dit : « Je n’ai pu apprendre avec quelle ardeur vous êtes entré dans les intérêts du prince de Perse et dans les miens, sans former aussitôt le dessein de vous en remercier moi-même. Je rends grâces au ciel de nous avoir sitôt dédommagés de la perte d’Ebn Thaher… »
Scheherazade fut obligée de s’arrêter en cet endroit, à cause du jour qu’elle vit paraître. Le lendemain, elle continua son récit de cette sorte :

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