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Histoire du roi Sapor, souverain des isle Bellour ; de Camar Alzeman, fille du génie Alatrous, et de Dorrat Algoase

La mère du prince accourut à ces tristes accents, et dit aux chevaliers : « Pourquoi ne m’avez-vous pas rapporté le corps de mon fils ? Je l’aurais enseveli de mes mains, et je lui aurais rendu les derniers devoirs. »

« Madame, lui répondit celui qui s’était chargé de porter la parole, la nature du mal auquel le prince a succombé était telle, et la chaleur si excessive, que son corps, devenu d’abord méconnaissable, répandit bientôt une odeur dont les effets ne pouvaient manquer d’être funestes. Nous l’avons recouvert de sable, et nous lui avons rendu tous les honneurs que la circonstance permettait de lui rendre. »

« Je veux, reprit la mère du prince Habib, savoir le nom de l’endroit où vous l’avez enterré. Je m’y rendrai, quelque éloigné qu’il soit, et je l’arroserai de mes larmes. »

« Madame, répondit le chevalier, cet endroit est situé au milieu d’un désert immense que personne n’avait encore osé traverser, et que nous n’avons jamais entendu nommer. »

La mère du prince, cédant alors à son désespoir, se frappa le visage, et fit retentir l’air de ses cris. Les deux époux prirent le deuil, se couchèrent sur la cendre, et furent plusieurs jours sans vouloir goûter de nourriture. Toutes les tribus qui obéissaient à l’émir, regrettèrent vivement le prince, et témoignèrent publiquement leur douleur. Chacun prit le deuil, et crut avoir perdu son appui, son défenseur.

Cependant l’effet de l’odieuse poudre s’étant dissipé au bout d’environ deux jours, le prince sortit de son assoupissement au moment où le soleil commençait à s’élever sur l’horizon, et lançait ses premiers feux sur la terre. Le jeune Habib porte autour de lui ses regards, et ne voit qu’une solitude affreuse et immense. Ses compagnons, ses armes, son coursier, tout a disparu. Indigné d’une si lâche trahison, il ne perdit pas pour cela courage.

« Dieu puissant, s’écria-t-il, c’est toi seul que j’implore, toi seul tu peux me secourir dans cette extrémité ! Je m’abandonne à ta providence ; dispose à ton gré de mes jours, mais sur-tout affermis mon cœur ; donne-moi la force et la patience qui font tout supporter avec courage. »

Le prince Habib, en portant au loin ses regards, aperçut au-delà d’une plaine immense de sable quelque chose de noir qui lui parut être un grand amas de tentes, ou une ville considérable. Il se mit aussitôt en chemin, dans l’espoir d’arriver à un lieu habité avant que la chaleur devînt plus forte. Le sable, dans lequel s’enfoncent ses pas, rend sa marche lente et pénible ; mais son courage s’accroit par les difficultés. Plongé dans un océan embrâsé, dévoré en même temps par l’ardeur du soleil, il n’est occupé que de la grandeur et de la beauté de son entreprise. Les vers se présentent en foule à son esprit sur un si beau sujet : il chante à la fois les attraits de la gloire, son empire sur les cœurs généreux, et les charmes de la beauté, qui ne sont pas moins puissants sur les âmes sensibles.

Le soleil au milieu de sa course dardait sur la terre des rayons de feu ; et l’objet vers lequel le prince dirigeait ses pas, paraissait toujours aussi éloigné. L’excès de la chaleur et de la fatigue épuisaient ses forces, mais ne ralentissaient pas son ardeur. Il vit alors l’air s’obscurcir au-dessus de sa tête, et quelque chose semblable à un nuage qui paraissait s’abaisser. Il distingua peu à peu un oiseau blanc d’une grosseur extraordinaire qui s’abattit devant lui. Ne doutant pas que ce ne fût un libérateur que lui envoyait Dorrat Algoase, il s’approcha de l’oiseau. Il remarqua que ses pieds étaient semblables à des troncs de palmiers. Il en saisit un, et s’y attacha fortement. L’oiseau prenant aussitôt son essor, le porta rapidement vers l’objet qui de loin lui avait paru comme un point noir. C’était une montagne dont le sommet se perdait dans les nues.

L’oiseau s’arrêta doucement sur le penchant de la montagne, et disparut. Le prince ayant fait quelques pas, aperçut une vaste caverne dont une sombre horreur semblait défendre l’entrée : il résolut d’y pénétrer. À peine y fut-il entré, qu’il entendit une voix qui l’appelait avec force, et vit paraître devant lui le génie Alâbous. Il tenait de la main gauche un baudrier auquel était suspendu un large cimeterre, ouvrage des génies. De la main droite il tenait une coupe d’or, remplie d’une eau propre à réparer les forces épuisées. Il la présenta au prince, qui la prit et la but tout entière.

Le prince, charmé d’avoir retrouvé le génie, lui raconta son entrevue avec Dorrat Algoase, et le remercia de lui avoir révélé le secret de sa destinée, en lui faisant connaître le bonheur qui l’attendait.

« Ce bonheur est encore loin de vous, lui dit le génie. Un espace immense, des mers orageuses vous séparent de la beauté qui fait l’objet de Vos vœux. Il vous faudra, pour parvenir jusqu’à elle, braver des dangers de toute espèce, triompher de monstres effroyables, surmonter des obstacles capables de faire pâlir les plus braves, et de glacer les cœurs les plus intrépides. Que ne puis-je vous transporter sur-le-champ auprès d’elle ! Mais ma puissance ne s’étend pas jusque-là. Je ne puis plus maintenant qu’une seule chose en votre faveur : c’est, si vous le voulez, de vous reporter en un clin-d’œil au sein de votre famille, dans les bras de votre père et de votre mère. » Le génie, en prononçant ces mots, regarda tendrement le prince Habib, et le serra contre son sein.

« Je n’ai pas, lui répondit le prince avec vivacité, quitté volontairement ma famille, je n’ai pas déjà bravé la mort, et je ne suis pas parvenu jusqu’ici, pour retourner honteusement sur mes pas. Rien ne peut désormais ébranler ma résolution. Je veux obtenir l’objet de mes vœux, ou mourir glorieusement. »

Le génie Alâbous voyant le courage et la fermeté du prince, lui parla en ces termes : « Cette caverne renferme les trésors de Salomon, fils de David. Je dois empêcher que personne n’entre ici sans sa permission, et je ne puis en sortir que par son ordre. Ces trésors sont renfermés dans quarante salles situées à droite et à gauche d’une immense galerie. Il ne tient qu’à vous de considérer à loisir toutes ces richesses, et de repaître vos yeux du spectacle éblouissant d’un amas prodigieux d’or, d’argent, de diamants, de perles et de rubis. En fouillant sous la porte qui donne entrée dans la galerie, vous trouverez les clefs de toutes les portes.

 » Si, peu jaloux du spectacle de tant de richesses et de magnificence, vous voulez franchir la galerie sans vous arrêter, vous verrez à l’autre extrémité un rideau auquel sont attachées quatre-vingts agrafes. Prenez garde de lever ce rideau avant d’avoir garni toutes les agrafes avec du coton que je vous donnerai.

 » Lorsque vous aurez levé ce rideau, vous verrez une porte d’or à deux battants, au-dessus de laquelle sont tracées des figures mystérieuses, des caractères talismaniques, dont il faut, avant de passer outre, comprendre la signification. Prenez garde encore, lorsque vous aurez ouvert la porte, de la repousser rudement ; ne regardez pas derrière vous, et ne vous laissez pas effrayer par les génies et les monstres auxquels la garde de cet endroit est confiée.

 » Au-delà de cette porte vous verrez une mer sans cesse agitée, qui renferme un nombre infini de merveilles. Vous vous tiendrez sur le rivage, vous appellerez le premier vaisseau qui passera devant vous, et vous lui ferez signe de vous prendre à bord. Je ne puis vous en dire davantage. Je ne sais ce qui doit vous arriver ensuite ; et c’est aujourd’hui, mon cher Habib, la dernière fois que je m’entretiens avec vous. »

Ce discours remplit de joie le jeune prince. Il prit la main du génie, la baisa, et le remercia des avis qu’il venait de lui donner. « Recevez cette épée, dit alors le génie en présentant au prince le baudrier qu’il tenait ; elle est d’une trempe divine, et ne trompera jamais votre courage. » Le prince prit l’épée, se revêtit d’une armure que lui donna en même temps le génie, lui dit adieu, et partit.

Le prince, en s’avançant dans la caverne, parvint à la première porte dont lui avait parlé le génie. Il creusa sous le seuil, et trouva un sac de cuir décoloré et noirci par le temps, qui renfermait plusieurs clefs. Il prit la première qui se présentait à lui : c’était celle de la galerie. Il y entra, et aperçut bientôt devant lui une clarté vive et brillante. Il marcha droit vers cette clarté, et arriva près du rideau.

Au-dessus était une lance d’émeraude, ornée de perles et de diamants, dont l’éclat remplissait cet immense souterrain. Sur cette plaque étaient tracées des emblèmes symboliques qui exprimaient ces deux vérités, que le prince, qui en était déjà pénétré, comprit facilement : le monde n’est que vanité et illusion ; la patience et le courage triomphent de tout.

Le prince s’approcha du rideau pour remplir de coton, selon le conseil du génie Alâbous, les agrafes dont il était entouré. Il vit alors fondre sur lui une multitude infinie de génies, de fantômes et de monstres de toute espèce ; il entendit de tous côtés des cris effrayants, et se trouva environné de flammes et de fumée. Sans s’embarrasser des dangers qui semblaient le menacer, il exécuta soigneusement les ordres du génie, leva ensuite le rideau, et aperçut une porte qu’il ouvrit facilement. Tous les fantômes disparurent aussitôt.

Le prince, se croyant alors à l’abri de tout danger, oublia le dernier conseil du génie, et laissa retomber la porte avec bruit. Tous les monstres l’assaillirent alors de nouveau, en poussant des cris affreux, et répétant à l’envi :

« Misérable mortel, pourquoi viens-tu troubler notre repos et souiller nos demeures ? Si l’armure dont tu es revêtu ne rendait notre fureur inutile, la mort la plus prompte serait la récompense de ton audace. Mais peut-être ton courage ne sera pas aussi à l’épreuve que tes armes. »

En parlant ainsi, les génies redoublent d’efforts, et prennent toutes sortes de formes pour jeter le trouble dans l’âme du prince, et glacer son cœur d’effroi. D’affreux serpents lancent sur lui leurs dards avec d’horribles sifflements ; des lions rugissans, des tigres furieux se jettent sur lui ; des précipices s’entr’ouvrent sur ses pas, le tonnerre éclate autour de lui ; le ciel s’écroule, la nature entière est bouleversée. Le prince toujours inébranlable, et inaccessible à la crainte, s’avance tranquillement. Les génies reconnaissent alors leur impuissance, se taisent, et disparaissent.

Le prince marchant avec plus de liberté et de promptitude, arriva bientôt sur les bords de cette mer dont les flots étaient sans cesse agités. Il regarda de tous côtés, et ne vit paraître aucun vaisseau. Il attendit inutilement tout le jour, et passa la nuit dans la plus cruelle impatience. L’aurore vint ranimer le lendemain son espoir ; mais son attente ne fut pas moins vaine que le jour précédent. Il souffrait depuis trois jours toutes les horreurs de la faim et de la soif, lorsque le quatrième jour il vit, au lever de l’aurore, sortir du sein des flots deux nymphes qui s’entretenaient ensemble.

« Savez-vous qui est assis là sur le bord de la mer, disait l’une ? » « Je l’ignore, répondit l’autre. »

« C’est le prince Habib, reprit la première. Il est épris des charmes de la reine Dorrat Algoase, et cherche a pénétrer jusqu’aux lieux où elle fait sa demeure. » « Comment, répondit la seconde, peut-il aspirer à Dorrat Algoase, et espérer de parvenir jusqu’à elle ? Il ne sait donc pas qu’elle est séparée de lui par un océan dangereux qu’on ne peut traverser en un an, et sur lequel on est exposé à mille périls, auxquels les hommes les plus expérimentés ne peuvent échapper ? Qu’en dites-vous, ma sœur, croyez-vous qu’il puisse venir à bout de son entreprise ? »

« Pourquoi pas, répondit la première ; les dangers qu’il a déjà surmontés donnent lieu de croire qu’il triomphera de ceux qui lui restent à courir ; mais il doit s’écouler encore bien du temps jusqu’à ce qu’il obtienne l’objet de ses vœux. »

Le prince Habib fut transporté de joie de ce qu’il venait d’entendre, et oublia la faim et la soif qui le pressaient. Dans ce moment, une troisième nymphe sortit des flots, et demanda aux deux premières quel était le sujet de leur entretien ? Lorsqu’elle eut appris qu’elles s’entretenaient du prince, elle leur dit :

« Une de mes cousines vient de me venir voir. Je lui ai demandé si elle avait vu passer quelque vaisseau ? Elle m’a dit qu’elle en avait vu un poussé par un vent frais, qui le portait de ce côté. »

Les trois nymphes ayant fini leur entretien, se plongèrent dans la mer, et disparurent. Le peu de mots prononcés par la troisième nymphe avoient mis le comble à la joie du prince. Il aperçut bientôt un vaisseau, appela les matelots, et leur fit signe de venir le prendre. On lui envoya une chaloupe qui le rendit à bord du navire.

Dès qu’il y fut entré, les marchands qui le montaient lui demandèrent qui il était ? Le prince leur dit qu’il satisferait leur curiosité dès qu’il aurait pris quelque nourriture, Les marchands lui donnèrent à manger ; et il leur dit, lorsqu’il eut un peu apaisé la faim dont il était dévoré, qu’il était lui-même marchand, que son vaisseau avait été brisé par la tempête, que tous ses compagnons avoient péri, qu’il s’était sauvé sur une planche, et que depuis trois jours il attendait un vaisseau sur ce rivage. Les marchands ne soupçonnant pas de déguisement dans le récit du prince, cherchèrent à le consoler, et lui promirent de réparer la perte qu’il venait de faire.

Au bout de quelques jours, il s’éleva un veut contraire qui entraîna le vaisseau loin de la route qu’il devait suivre. Le pilote, obligé de céder à la violence du vent, assembla les marchands, et leur fit part de ce qui se passait. Les marchands l’exhortèrent à avoir courage, lui firent espérer que le vent contraire cesserait bientôt, et qu’il pourrait reprendre sa route. Quelque temps après, il survint un calme profond ; le vaisseau cessa tout-à-coup d’avancer, et resta immobile.

Le pilote demanda aux marchands si quelqu’un d’eux connaissait la mer dans laquelle ils se trouvaient. Tous avouèrent que jamais, dans aucun de leurs voyages, ils n’avoient été jetés dans ces parages. Le pilote tint alors aux marchands ce langage :

« Je ne connais pas moi-même cette mer par expérience ; mais, selon mon estime, nous devons être dans la mer Verte. Tous ceux qui y entrent ne manquent jamais, dit-on, d’y périr, parce qu’elle est habitée par des monstres et des génies malfaisants. Le plus redoutable de ces monstres, celui qui, selon toute apparence, retient en ce moment le vaisseau, s’appelle Gaschamscham. Placé dans ces lieux par Salomon lui-même, il enlève, les uns après les autres, tous ceux qui montent les vaisseaux, et les dévore. »

« Cessez, dit le prince Habib en interrompant le pilote, de vouloir nous effrayer. Ce génie, quelque redoutable qu’il soit, n’est pas invincible, et j’espère vous délivrer tous d’entre ses mains. »

Les marchands, que le discours du pilote avait consternés, ne savaient s’ils devaient ajouter foi aux promesses du prince. Il leur dit de l’attacher à une corde par le milieu du corps, et s’élança ainsi dans la mer, tenant à la main son cimeterre.

Le prince était à peine sous les flots, qu’il vit s’avancer le monstre prêt à le dévorer. Il leva son cimeterre, et lui en déchargea sur la tête un coup si furieux, qu’il le fendit en deux. Le prince, en agitant la corde à laquelle il était attaché, avertit alors les marchands de le remonter à bord, ce qu’ils firent aussitôt. Le vaisseau partit à l’instant avec la rapidité d’un trait lancé par un bras vigoureux.

La surprise et la joie des marchands furent extrêmes, quand ils se virent délivrés de ce danger. Ne sachant comment témoigner leur reconnaissance au prince, ils lui offrirent de lui donner tout ce qu’ils possédaient. Le prince ne voulut rien accepter. Le plus âgé d’entre les marchands reconnut alors qu’il y avait quelque chose de merveilleux dans cette aventure, et que celui qu’ils prenaient pour un simple marchand comme eux, devait être un homme extraordinaire. Il conjura le prince de ne pas leur cacher plus long-temps la vérité, et de leur apprendre qui il était réellement. Le prince refusa long-temps de se faire connaître ; mais le vieux marchand le pressa avec tant d’instances, que le prince ne put s’empêcher de céder à ses désirs, et lui fit le récit de toutes ses aventures.

Le vaisseau continuant toujours de voguer avec rapidité, le pilote reconnut bientôt les parages ou il se trouvait. « Réjouissez-vous, dit-il aux marchands, votre vie est maintenant en sûreté. Nous avons heureusement traversé les mers les plus dangereuses, et nous sommes près d’aborder à la capitale du roi Sapor, qui règne sur les isles Bellour. »

En effet, on aperçut bientôt un rivage sur lequel s’élevait une ville considérable. Le vaisseau entra heureusement dans le port. Il fut aussitôt entouré par une multitude infinie de canots, qui venaient pour mettre à terre les passagers, et décharger les marchandises.

Cependant Dorrat Algoase, depuis son retour dans la capitale de ses états, ne pouvait goûter de repos, ni prendre, pour ainsi dire, de nourriture. Toujours occupée de son amant, elle s’alarmait des dangers auxquels il s’exposait pour elle. Tandis que, plongée dans ces réflexions, elle s’abandonnait à une douce rêverie, un génie vint lui annoncer qu’il était entré dans le port un vaisseau sur lequel était le prince Habib.

La reine, au comble de la joie, promit au génie de le récompenser de cette bonne nouvelle, et ordonna aussitôt des réjouissances dans toute la ville. Elle voulut que l’air retentît du son des instruments de musique, et que l’on étendît des tapis précieux et des étoffes de soie dans toutes les rues par lesquelles le prince devait passer. Elle envoya ensuite une troupe nombreuse de gardes et d’esclaves au-devant de lui pour l’amener dans le palais.

On ne peut exprimer quelle fut la joie du prince, lorsqu’il se vit possesseur de celle pour laquelle il soupirait depuis si long-temps. Les fatigues qu’il avait supportées, les dangers qu’il avait courus, lui semblèrent alors bien peu de chose ; et le prix qu’il obtenait, lui parut infiniment supérieur aux travaux qui le lui avait mérité.

Le prince, parvenu au comble de ses vœux, trouva bientôt qu’il manquait encore quelque chose à son bonheur. Il pensait qu’il ne reverroit jamais sa famille, et cette idée affligeante. Il s’en ouvrit un jour à Dorrat Algoase, qui lui dit de ne pas s’attrister, et lui promit que dans le jour même il reverrait les auteurs de ses jours.

Dorrat Algoase fit aussitôt venir son visir, et lui annonça qu’étant obligée de s’absenter quelque temps, elle l’avait choisi pour lui confier les rênes du gouvernement. Elle fit ensuite assembler les principaux d’entre les génies, et leur fit connaitre celui qu’elle avait choisi pour gouverner en son absence. Tous les génies lui protestèrent qu’ils obéiraient au visir comme à elle-même. La reine leur témoigna sa satisfaction, et les congédia. Elle dit ensuite au visir de se préparer à la transporter avec le prince dans le jardin où il l’avait autrefois conduite. Le visir prit aussitôt la forme d’un oiseau d’une grandeur et d’une force extraordinaires ; la reine et le prince s’assirent sur son dos, traversèrent les airs, et se trouvèrent en un clin-d’œil dans le jardin où ils s’étaient vus pour la première fois.

L’émir Selama et son épouse Camar Alaschraf s’entretenoient alors comme ils faisaient ordinairement lorsqu’ils étoient seuls, du fils qu’ils croyaient avoir perdu, et qu’ils ne cessaient de regretter. Tout-à-coup ils le virent paraître avec Dorrat Algoase. À cette vue qu’ils prirent d’abord pour une illusion, des torrens de larmes coulèrent de leurs yeux. Le prince se jeta à leur cou, en les assurant que c’était leur cher Habib qui les embrassait ; leur présenta la reine des génies, et leur raconta ses aventures.

L’émir Selama et son épouse se livrèrent alors à la joie la plus vive, et firent annoncer à toutes les tribus le retour du prince Habib. L’émir donna à cette occasion des repas magnifiques, et reçut les félicitations de tous les scheiks. Ils fit distribuer de grandes aumônes aux pauvres, et ordonna des fêtes qui durèrent pendant sept jours. Le dernier jour, le prince Habib fit dresser des potences pour les vingts chevaliers qui l’avoient si indignement trahi, et les y fit attacher.

Selama ne jouit pas long-temps du plaisir de revoir son fils : il mourut peu après son arrivée. Habib fit faire de magnifiques funérailles à son père, et donna des marques de la plus vive douleur,

Habib se fit ensuite reconnaître en qualité d’Émir par la tribu des Benou Helal, et par les soixante-six autres tribus qui obéissaient à son père. Cette cérémonie fut accompagnée des acclamations de la multitude, qui fit des vœux pour la gloire et la durée de son règne. L’émir Habib ne cessa pas pour cela de régner sur les isles Bellour. La belle Dorrat Algoase donna le jour à plusieurs princes, qui partagèrent entr’eux les états de leur père après sa mort.

Scheherazade ayant achevé l’histoire du prince Habib et de Dorrat Algoase, sa sœur Dinarzade lui dit : « Je ne sais, ma sœur, si le sultan des Indes sera de mon avis ; mais il me semble que j’entends toujours vos récits avec un nouveau plaisir. » Le sultan témoigna qu’il pensait comme Dinarzade ; et Scheherazade annonça aussitôt qu’elle raconterait le lendemain l’histoire de Naama et de Naam.

Le conte suivant : Histoire de Naama et de Naam