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Histoire du cinquième frère du barbier

 La cent soixante dix neuvième nuit

« MON frère, continua le barbier, attacha le sac de verre autour de lui avec sa ceinture, se déguisa en vieille, et prit un sabre, qu’il cacha sous sa robe. Un matin il rencontra la vieille qui se promenait déjà par la ville, en cherchant l’occasion de jouer un mauvais tour à quelqu’un. Il l’aborda, et contrefaisant la voix d’une femme : « N’auriez-vous pas, lui dit-il , un trébuchet à me prêter ? Je suis une femme de Perse nouvellement arrivée. J’ai apporté de mon pays cinq cents pièces d’or. Je voudrais bien voir si elles sont de poids. » « Bonne femme, lui répondit la vieille, vous ne pouviez mieux vous adresser qu’à moi. Venez, vous n’avez qu’à me suivre, je vous mènerai chez mon fils qui est changeur, il se fera un plaisir de vous les peser lui-même pour vous en épargner la peine. Ne perdons pas de temps, afin de le trouver avant qu’il aille à sa boutique. » Mon frère la suivit jusqu’à la maison où elle l’avait introduit la première fois, et la porte fut ouverte par l’esclave grecque.

 » La vieille mena mon frère dans la salle, où elle lui dit d’attendre un moment, qu’elle allait faire venir son fils. Le prétendu fils parut sous la forme du vilain esclave noir : « Maudite vieille, dit-il à mon frère, lève-toi et me suis. » En disant ces mots, il marcha devant pour le mener au lieu où il vouloit le massacrer. Alnaschar se leva, le suivit ; et tirant son sabre de dessous sa robe, il le lui déchargea sur le cou par derrière si adroitement, qu’il lui abattit la tête. Il la prit aussitôt d’une main, et de l’autre il traîna le cadavre jusqu’au lieu souterrain où il le jeta avec la tête. L’esclave grecque accoutumée à ce manège, se fit bientôt voir avec le bassin plein de sel ; mais quand elle vit Alnaschar le sabre à la main, et qui avait quitté le voile dont il s’était couvert le visage, elle laissa tomber le bassin et s’enfuit ; mais mon frère courant plus fort qu’elle, la joignit, et lui fit voler la tête de dessus les épaules. La méchante vieille accourut au bruit, et il se saisit d’elle avant qu’elle eût le temps de lui échapper. « Perfide, s’écria-t-il , me reconnais-tu ? » « Hélas, Seigneur, répondit-elle en tremblant, qui êtes-vous ? Je ne me souviens pas de vous avoir jamais vu. » « Je suis, dit-il, celui chez qui tu entras l’autre jour pour te laver et faire ta prière d’hypocrite : t’en souvient-il ? » Alors elle se mit à genoux pour lui demander pardon ; mais il la coupa en quatre pièces.

« Il ne restait plus que la dame qui ne savait rien de ce qui venait de se passer chez elle. Il la chercha, et la trouva dans une chambre où elle pensa s’évanouir quand elle le vit paraître. Elle lui demanda la vie, et il eut la générosité de la lui accorder. « Madame, lui dit-il, comment pouvez-vous être avec des gens aussi méchants que ceux dont je viens de me venger si justement ? » « J’étais, lui répondit-elle, la femme d’un honnête marchand, et la maudite vieille dont je ne connaissais pas la méchanceté, me venait voir quelquefois. « Madame, me dit-elle un jour, nous avons de belles noces chez nous ; vous y prendriez beaucoup de plaisir, si vous vouliez nous faire l’honneur de vous y trouver. » Je me laissai persuader. Je pris mon plus bel habit avec une bourse de cent pièces d’or. Je la suivis ; elle me mena dans cette maison, où je trouvai ce noir qui me retint par force ; et il y a trois ans que j’y suis avec bien de la douleur. « « De la manière dont ce détestable noir se gouvernait, reprit mon frère, il faut qu’il ait amassé bien des richesses. » « Il y en a tant, repartit-elle, que vous serez riche à jamais, si vous pouvez les emporter : suivez-moi et vous les verrez. » Elle conduisit Alnaschar dans une chambre où elle lui fit voir effectivement plusieurs coffres pleins d’or, qu’il considéra avec une admiration dont il ne pouvait revenir. « Allez, dit-elle, et amenez assez de monde pour emporter tout cela. » Mon frère ne se le fit pas dire deux fois ; il sortit, et ne fut dehors qu’autant de temps qu’il lui en fallut pour assembler dix hommes. Il les amena avec lui ; et en arrivant à la maison, il fut fort étonné de trouver la porte ouverte ; mais il le fut bien davantage, lorsqu’étant entré dans la chambre où il avait vu les coffres, il n’en trouva pas un seul. La dame plus rusée et plus diligente que lui, les avait fait enlever et avait disparu elle-même. Au défaut des coffres et pour ne pas s’en retourner les mains vides, il fit emporter tout ce qu’il put trouver de meubles dans les chambres et dans les garde-meubles, où il y en avait beaucoup plus qu’il ne lui en fallait pour le dédommager des cinq cents pièces d’or qui lui avoient été volées. Mais en sortant de la maison, il oublia de fermer la porte. Les voisins qui avoient reconnu mon frère et vu les porteurs aller et venir, coururent avertir le juge de police de ce déménagement qui leur avait paru suspect. Alnaschar passa la nuit assez tranquillement ; mais le lendemain matin, comme il sortait du logis, il rencontra à sa porte vingt hommes des gens du juge de police qui se saisirent de lui. « Venez avec nous, lui dirent-ils, notre maître veut parler à vous. » Mon frère les pria de se donner un moment de patience, et leur offrit une somme d’argent pour qu’ils le laissassent échapper ; mais au lieu de l’écouter, ils le lièrent et le forcèrent de marcher avec eux. Ils rencontrèrent dans une rue un ancien ami de mon frère qui les arrêta, et s’informa d’eux pour quelle raison ils l’emmenaient ; il leur proposa même une somme considérable pour le lâcher et rapporter au juge de police qu’ils ne l’avoient pas trouvé ; mais ne put rien obtenir d’eux, et ils menèrent Alnaschar au juge de police…

Scheherazade cessa de parler en cet endroit, parce qu’elle remarqua qu’il était jour. La nuit suivante elle reprit le fil de sa narration, et dit au sultan des Indes :

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