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Les filles de minée

 
Thisbé consent à tout ; elle en donne pour gage
Deux baisers, par le mur arrêtés au passage,
Heureux mur ! tu devais servir mieux leur désir :
Ils n’obtinrent de toi qu’une ombre de plaisir.
Le lendemain, Thisbé sort, et prévient Pirame ;
L’impatience, hélas ! maîtresse de son âme,
La fait arriver seule et sans guide aux degrés.
L’ombre et le jour luttaient dans les champs azurés.
Une lionne vient, monstre imprimant la crainte ;
D’un carnage récent sa gueule est toute teinte.
Thisbé fuit ; et son voile, emporté par les airs,
Source d’un sort cruel, tombe dans ces déserts.
La lionne le voit, le souille, le déchire ;
Et, l’ayant teint de sang, aux forêts se retire.
Thisbé s’était cachée en un buisson épais.
Pirame arrive, et voit ces vestiges tout frais :
O dieux ! que devient-il ? Un froid court dans ses veines ;
Il aperçoit le voile étendu dans ces plaines ;
Il se lève ; et le sang, joint aux traces des pas,
L’empêche de douter d’un funeste trépas.
Thisbé ! s’écria-t-il, Thisbé, je t’ai perdue !
Te voilà, par ma faute, aux Enfers descendue !
Je l’ai voulu : c’est moi qui suis le monstre affreux
Par qui tu t’en vas voir le séjour ténébreux :
Attends-moi, je te vais rejoindre aux rives sombres ;
Mais m’oserai-je à toi présenter chez les ombres ?
Jouis au moins du sang que je te vais offrir,
Malheureux de n’avoir qu’une mort à souffrir.
Il dit, et d’un poignard coupe aussitôt sa trame.
Thisbé vient ; Thisbé voit tomber son cher Pirame.
Que devint-elle aussi ? Tout lui manque à la fois,
Le sens et les esprits, aussi bien que la voix.
Elle revient enfin ; Clothon, pour l’amour d’elle,
Laisse à Pirame ouvrir sa mourante prunelle.
Il ne regarde point la lumière des cieux ;
Sur Thisbé seulement il tourne encor les yeux.
Il voudrait lui parler, sa langue est retenue :
Il témoigne mourir content de l’avoir vue.
Thisbé prend le poignard ; et, découvrant son sein :
Je n’accuserai point, dit-elle, ton dessein,
Bien moins encor l’erreur de ton âme alarmée :
Ce serait t’accuser de m’avoir trop aimée.
Je ne t’aime pas moins : tu vas voir que mon coeur
N’a, non plus que le tien, mérité son malheur.
Cher Amant ! reçois donc ce triste sacrifice.
Sa main et le poignard font alors leur office ;
Elle tombe, et, tombant range ses vêtements :
Dernier trait de pudeur même aux derniers moments.
Les Nymphes d’alentour lui donnèrent des larmes,
Et du sang des Amants teignirent par des charmes
Le fruit d’un mûrier proche, et blanc jusqu’à ce jour,
Eternel monument d’un si parfait amour.
Cette histoire attendrit les filles de Minée.
L’une accusait l’Amant, l’autre la Destinée ;
Et toute d’une voix conclurent que nos coeurs
De cette passion devraient être vainqueurs :
Elle meurt quelquefois avant qu’être contente ;
L’est-elle, elle devient aussitôt languissante ;
Sans l’hymen on n’en doit recueillir aucun fruit,
Et cependant l’hymen est ce qui la détruit.
Il y joint, dit Clymène, une âpre jalousie,
Poison le plus cruel dont l’âme soit saisie :
Je n’en veux pour témoin que l’erreur de Procris.
Alcithoé ma soeur, attachant vos esprits,
Des tragiques amours vous a conté l’élite :
Celles que je vais dire ont aussi leur mérite.
J’accourcirai le temps, ainsi qu’elle, à mon tour.
Peu s’en faut que Phébus ne partage le jour ;
A ses rayons perçants opposons quelques voiles.
Voyons combien nos mains ont avancé nos toiles :
Je veux que, sur la mienne, avant que d’être au soir,
Un progrès tout nouveau se fasse apercevoir.
Cependant donnez-moi quelque heure de silence :
Ne vous rebutez point de mon peu d’éloquence ;
Souffrez-en les défauts, et songez seulement
Au fruit qu’on peut tirer de cet événement.
 
Céphale aimait Procris ; il était aimé d’elle :
Chacun se proposait leur hymen pour modèle.
Ce qu’Amour fait sentir de piquant et de doux
Comblait abondamment les voeux de ces Epoux.
Ils ne s’aimaient que trop ! leurs soins et leur tendresse
Approchaient des transports d’Amant et de Maîtresse.
Le Ciel même envia cette félicité :
Céphale eut à combattre une Divinité.
Il était jeune et beau ; l’Aurore en fut charmée,
N’étant pas à ces biens chez elle accoutumée.
Nos belles cacheraient un pareil sentiment :
Chez les Divinités on en use autrement.
Celle-ci déclara ses pensers à Céphale ;
Il eut beau lui parler de la foi conjugale :
Les jeunes Déités qui n’ont qu’un vieil Epoux
Ne se soumettent point à ces lois comme nous :
La Déesse enleva ce Héros si fidèle.
De modérer ces feux il pria l’Immortelle :
Elle le fit ; l’amour devint simple amitié.
Retournez, dit l’Aurore, avec votre moitié ;
Je ne troublerai plus votre ardeur ni la sienne :
Recevez seulement ces marques de la mienne.
(C’était un javelot toujours sûr de ses coups.)
Un jour cette Procris qui ne vit que pour vous
Fera le désespoir de votre âme charmée,
 

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