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Les filles de minée

 
Et vous aurez regret de l’avoir tant aimée.
Tout oracle est douteux, et porte un double sens :
Celui-ci mit d’abord notre Epoux en suspens.
J’aurai regret aux voeux que j’ai formés pour elle !
Et comment ? n’est-ce point qu’elle m’est infidèle ?
Ah ! finissent mes jours plutôt que de le voir !
Eprouvons toutefois ce que peut son devoir.
Des Mages aussitôt consultant la science,
D’un feint adolescent il prend la ressemblance,
S’en va trouver Procris, élève jusqu’aux Cieux
Ses beautés, qu’il soutient être dignes des Dieux ;
Joint les pleurs aux soupirs, comme un Amant sait faire,
Et ne peut s’éclaircir par cet art ordinaire.
Il fallut recourir à ce qui porte coup,
Aux présents : il offrit, donna, promit beaucoup,
Promit tant, que Procris lui parut incertaine ;
Toute chose a son prix. Voilà Céphale en peine :
Il renonce aux cités, s’en va dans les forêts,
Conte aux vents, conte aux bois ses déplaisirs secrets,
S’imagine en chassant dissiper son martyre.
C’était pendant ces mois où le chaud qu’on respire
Oblige d’implorer l’haleine des Zéphirs.
Doux Vents, s’écriait-il, prêtez-moi des soupirs !
Venez, légers Démons par qui nos champs fleurissent ;
Aure, fais-les venir ; je sais qu’ils t’obéissent :
Ton emploi dans ces lieux est de tout ranimer.
On l’entendit : on crut qu’il venait de nommer
Quelque objet de ses voeux, autre que son Epouse.
Elle en est avertie ; et la voilà jalouse.
Maint voisin charitable entretient ses ennuis.
Je ne le puis plus voir, dit-elle, que les nuits !
Il aime donc cette Aure, et me quitte pour elle ?
- Nous vous plaignons ; il l’aime, et sans cesse il l’appelle :
Les échos de ces lieux n’ont plus d’autres emplois
Que celui d’enseigner le nom d’Aure à nos bois ;
Dans tous les environs le nom d’Aure résonne.
Profitez d’un avis qu’en passant on vous donne :
L’intérêt qu’on y prend est de vous obliger.
Elle en profite, hélas ! et ne fait qu’y songer.
Les Amants sont toujours de légère croyance.
S’ils pouvaient conserver un rayon de prudence,
(Je demande un grand point, la prudence en amours)
Ils seraient aux rapports insensibles et sourds ;
Notre Epouse ne fut l’une ni l’autre chose.
Elle se lève un jour ; et lorsque tout repose,
Que de l’aube au teint frais la charmante douceur
Force tout au sommeil, hormis quelque chasseur,
Elle cherche Céphale : un bois l’offre à sa vue.
Il invoquait déjà cette Aure prétendue :
Viens me voir, disait-il, chère Déesse, accours !
Je n’en puis plus, je meurs ; fais que par ton secours
La peine que je sens se trouve soulagée.
L’épouse se prétend par ces mots outragée :
Elle croit y trouver, non le sens qu’ils cachaient,
Mais celui seulement que ses soupçons cherchaient.
O triste jalousie ! ô passion amère !
Fille d’un fol amour, que l’erreur a pour mère !
Ce qu’on voit par tes yeux cause assez d’embarras
Sans voir encore par eux ce que l’on ne voit pas !
Procris s’était cachée en la même retraite
Qu’un fan de biche avait pour demeure secrète.
Il en sort ; et le bruit trompe aussitôt l’Epoux.
Céphale prend le dard toujours sûr de ses coups,
Le lance en cet endroit, et perce sa jalouse :
Malheureux assassin d’une si chère Epouse !
Un cri lui fait d’abord soupçonner quelque erreur ;
Il accourt, voit sa faute ; et, tout plein de fureur,
Du même javelot il veut s’ôter la vie.
L’Aurore et les Destins arrêtent cette envie ;
Cet office lui fut plus cruel qu’indulgent :
L’infortuné Mari sans cesse s’affligeant
Eût accru par ses pleurs le nombre des fontaines,
Si la déesse enfin, pour terminer ses peines,
N’eût obtenu du Sort que l’on tranchât ses jours :
Triste fin d’un hymen bien divers en son cours !
Fuyons ce noeud, mes soeurs, je ne puis trop le dire :
Jugez par le meilleur quel peut être le pire.
S’il ne nous est permis d’aimer que sous ses lois,
N’aimons point. Ce dessein fut pris par toutes trois.
Toutes trois, pour chasser de si tristes pensées,
A revoir leur travail se montrent empressées.
Clymène, en un tissu riche, pénible et grand,
Avait presque achevé le fameux différend
D’entre le dieu des eaux et Pallas la savante.
On voyait en lointain une ville naissante ;
L’honneur de la nommer, entre eux deux contesté,
Dépendait du présent de chaque déité.
Neptune fit le sien d’un symbole de guerre :
Un coup de son trident fit sortir de la terre
Un animal fougueux, un Coursier plein d’ardeur :
Chacun de ce présent admirait la grandeur.
Minerve l’effaça, donnant à la contrée
L’Olivier, qui de paix est la marque assurée.
Elle emporta le prix, et nomma la cité :
Athène offrit ses voeux à cette déité ;
Pour les lui présenter on choisit cent pucelles,
Toutes sachant broder, aussi sages que belles.
Les premières portaient force présents divers ;
Tout le reste entourait la déesse aux yeux pers ;
Avec un doux souris elle acceptait l’hommage.
Clymène ayant enfin reployé son ouvrage,
La jeune Iris commence en ces mots son récit :
 
Rarement pour les pleurs mon talent réussit ;
Je suivrai toutefois la matière imposée.
Télamon pour Cloris avait l’âme embrasée,
Cloris pour Télamon brûlait de son côté.
La naissance, l’esprit, les grâces, la beauté,
Tout se trouvait en eux, hormis ce que les hommes
Font marcher avant tout dans ce siècle où nous sommes :
Ce sont les biens, c’est l’or, mérite universel.
Ces Amants, quoique épris d’un désir mutuel,
N’osaient au blond Hymen sacrifier encore,
Faute de ce métal que tout le monde adore.
Amour s’en passerait ; l’autre état ne le peut :
Soit raison, soit abus, le Sort ainsi le veut.
Cette loi, qui corrompt les douceurs de la vie,
Fut par le jeune Amant d’une autre erreur suivie.
Le Démon des Combats vint troubler l’Univers :
Un Pays contesté par des Peuples divers
Engagea Télamon dans un dur exercice ;
Il quitta pour un temps l’amoureuse milice.
Cloris y consentit, mais non pas sans douleur :
Il voulut mériter son estime et son coeur.
Pendant que ses exploits terminent la querelle,
Un parent de Cloris meurt, et laisse à la belle
D’amples possessions et d’immenses trésors.
Il habitait les lieux où Mars régnait alors.
La belle s’y transporte ; et partout révérée,
Partout des deux partis Cloris considérée,
Voit de ses propres yeux les champs où Télamon
Venait de consacrer un trophée à son nom.
Lui de sa part accourt ; et, tout couvert de gloire,
Il offre à ses amours les fruits de sa victoire.
Leur rencontre se fit non loin de l’élément
Qui doit être évité de tout heureux amant.
Dès ce jour l’âge d’or les eût joints sans mystère ;
L’âge de fer en tout a coutume d’en faire.
Cloris ne voulut donc couronner tous ces biens
Qu’au sein de sa patrie, et de l’aveu des siens.
Tout chemin, hors la mer, allongeant leur souffrance,
Ils commettent aux flots cette douce espérance.
 

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