La quatre vingt cinquième nuit
« LES marchands avec qui j’étais, continua Sindbad, ramassèrent des pierres et les jetèrent de toute leur force au haut des arbres contre les singes. Je suivis leur exemple, et je vis que les singes, instruits de notre dessein, cueillaient les cocos avec ardeur, et nous les jetaient avec des gestes qui marquaient leur colère et leur animosité. Nous ramassions les cocos, et nous jetions de temps en temps des pierres pour irriter les singes. Par cette ruse, nous remplissions nos sacs de ce fruit, qu’il nous eût été impossible d’avoir autrement.
« Lorsque nous en eûmes plein nos sacs, nous nous en retournâmes à la ville, où le marchand qui m’avait envoyé à la forêt, me donna la valeur du sac de cocos que j’avais apporté. « Continuez, me dit-il, et allez tous les jours faire la même chose jusqu’à ce que vous ayez gagné de quoi vous reconduire chez vous. » Je le remerciai du bon conseil qu’il me donnait ; et insensiblement je fis un si grand amas de cocos, que j’en avais pour une somme considérable.
« Le vaisseau sur lequel j’étais venu, avait fait voile avec des marchands qui l’avoient chargé de cocos qu’ils avoient achetés. J’attendis l’arrivée d’un autre qui aborda bientôt au port de la ville pour faire un pareil chargement. Je fis embarquer dessus tout le coco qui m’appartenait ; et lorsqu’il fut prêt à partir, j’allai prendre congé du marchand à qui j’avais tant d’obligation. Il ne put s’embarquer avec moi, parce qu’il n’avait pas encore achevé ses affaires.
« Nous mîmes à la voile, et prîmes la route de l’isle où le poivre croît en plus grande abondance. De là, nous gagnâmes l’isle de Comari [1], qui porte la meilleure espèce de bois d’aloës, et dont les habitants se sont fait une loi inviolable de ne pas boire de vin, ni de souffrir aucun lieu de débauche. J’échangeai mon coco dans ces deux isles contre du poivre et du bois d’aloës, et me rendis, avec d’autres marchands, à la pêche des perles, où je pris des plongeurs à gage pour mon compte. Ils m’en pêchèrent un grand nombre de très-grosses et de très-parfaites. Je me remis en mer avec joie sur un vaisseau qui arriva heureusement à Balsora ; de là, je revins à Bagdad, où je fis de très-grosses sommes d’argent du poivre, du bois d’aloës, et des perles que j’avais apportés. Je distribuai en aumônes la dixième partie de mon gain, de même qu’au retour de mes autres voyages, et je cherchai à me délasser de mes fatigues dans toutes sortes de divertissements. »
Ayant achevé ces paroles, Sindbad fit donner cent sequins à Hindbad, qui se retira avec tous les autres convives. Le lendemain, la même compagnie se trouva chez le riche Sindbad, qui, après l’avoir régalée comme les jours précédents, demanda audience, et fit le récit de son sixième voyage, de la manière que je vais vous le raconter :