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Histoire que raconta le marchand chrétien

 La cent vingt neuvième nuit

SIRE, le marchand chrétien continuant de raconter au sultan de Casgar l’histoire qu’il venait de commencer :
« J’examinai, dit-il, le sésame que le jeune marchand me montrait, et je lui répondis qu’il valait, au prix courant, cent dragmes d’argent la grande mesure. « Voyez, me dit-il, les marchands qui en voudront pour ce prix-là, et venez jusqu’à la porte de la Victoire, où vous verrez un khan séparé de toute autre habitation : je vous attendrai là. » En disant ces paroles, il partit, et me laissa la montre de sésame, que je fis voir à plusieurs marchands de la place, qui me dirent tous qu’ils en prendraient tant que je leur en voudrais donner, à cent dix dragmes d’argent la mesure ; et à ce compte, je trouvais à gagner avec eux dix dragmes par mesure. Flatté de ce profit, je me rendis à la porte de la Victoire, où le jeune marchand m’attendoit. Il me mena dans son magasin qui était plein de sésame. Il y en avait cent cinquante grandes mesures, que je fis mesurer et charger sur des ânes, et je les vendis cinq mille dragmes d’argent. « De cette somme, me dit le jeune homme, il y a cinq cents dragmes pour votre droit, à dix par mesure, je vous les accorde ; et pour ce qui est du reste qui m’appartient, comme je n’en ai pas besoin présentement, retirez-le de vos marchands, et me le gardez jusqu’à ce que j’aille vous le demander. » Je lui répondis qu’il serait prêt toutes les fois qu’il voudrait le venir prendre, ou me l’envoyer demander. Je lui brisai la main en le quittant, et me retirai fort satisfait de sa générosité.
« Je fus un mois sans le revoir : au bout de ce temps-là, je le vis reparaître. « Où sont, me dit-il, les quatre mille cinq cents dragmes que vous me devez ? » « Elles sont toutes prêtes, lui répondis-je, et je vais les compter tout-à-l’heure. » Comme il était monté sur son âne, je le priai de mettre pied à terre, et de me faire l’honneur de manger un morceau avec moi avant que de les recevoir. « Non, me dit-il, je ne puis descendre à présent ; j’ai une affaire pressante qui m’appelle ici près ; mais je vais revenir, et en repassant, je prendrai mon argent, que je vous prie de tenir prêt. » Il disparut en achevant ces paroles. Je l’attendis, mais ce fut inutilement, et il ne revint qu’un mois encore après. « Voilà, dis-je en moi-même, un jeune marchand qui a bien de la confiance en moi, de me laisser entre les mains, sans me connaître, une somme de quatre mille cinq cents dragmes d’argent ! Un autre que lui n’en userait pas ainsi, et craindrait que je ne la lui emportasse. » Il revint à la fin du troisième mois : il était encore monté sur son âne, mais plus magnifiquement habillé que les autres fois…
Scheherazade voyant que le jour commençait à paraître, n’en dit pas davantage cette nuit. Sur la fin de la suivante, elle poursuivit de cette manière, en faisant toujours parler le marchand chrétien au sultan de Casgar :

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