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Histoire du petit bossu

 La cent vingt quatrième nuit

LE médecin et sa femme délibérèrent ensemble sur le moyen de se délivrer du corps mort pendant la nuit. Le médecin eut beau rêver, il ne trouva nul stratagème pour sortir d’embarras ; mais sa femme, plus fertile en inventions, dit : « Il me vient une pensée : portons ce cadavre sur la terrasse de notre logis, et le jetons par la cheminée dans la maison du Musulman notre voisin. »
Ce Musulman était un des pourvoyeurs du sultan : il était chargé du soin de fournir l’huile, le beurre, et toutes sortes de graisses. Il avait chez lui son magasin, où les rats et les souris faisaient un grand dégât.
Le médecin juif ayant approuvé l’expédient proposé, sa femme et lui prirent le bossu, le portèrent sur le toit de leur maison ; et après lui avoir passé des cordes sous les aisselles, ils le descendirent par la cheminée dans la chambre du pourvoyeur ; si doucement, qu’il demeura planté sur ses pieds contre le mur comme s’il eût été vivant. Lorsqu’ils le sentirent en bas, ils retirèrent les cordes et le laissèrent dans l’attitude que je viens de dire. Ils étaient à peine descendus et rentrés dans leur chambre, quand le pourvoyeur entra dans la sienne. Il revenoit d’un festin de noces auquel il avait été invité ce soir-là, et il avait une lanterne à la main. Il fut assez surpris de voir à la faveur de sa lumière, un homme debout dans sa cheminée ; mais comme il était naturellement courageux, et qu’il s’imagina que c’était un voleur, il se saisit d’un gros bâton, avec quoi courant droit au bossu : « Ah, ah, lui dit—il, je m’imaginais que c’étaient les rats et les souris qui mangeaient mon beurre et mes graisses, et c’est toi qui descends par la cheminée pour me voler ! Je ne crois pas qu’il te reprenne jamais envie d’y revenir. » En achevant ces mots, il frappa le bossu et lui donna plusieurs coups de bâton. Le cadavre tomba le nez contre terre ; le pourvoyeur redouble ses coups ; mais remarquant enfin que le corps qu’il frappe est sans mouvement, il s’arrête pour le considérer. Alors voyant que c’était un cadavre, la crainte commença de succéder à la colère. « Qu’ai-je fait, misérable, dit-il ? Je viens d’assommer un homme : ah, j’ai porté trop loin ma vengeance ! Grand Dieu, si vous n’avez pitié de moi, c’est fait de ma vie ! Maudits soient mille fois les graisses et les huiles qui sont cause que j’ai commis une action si criminelle. » Il demeura pâle et défait ; il croyait déjà voir les ministres de la justice qui le traînaient au supplice ; il ne savait quelle résolution il devait prendre…
L’aurore qui paraissait, obligea Scheherazade à mettre fin à son discours ; mais elle en reprit le fil sur la fin de la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :

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