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Histoire racontée par le médecin juif

 La cent cinquante deuxième nuit

« MES oncles n’eurent rien à répliquer à mon père, poursuivit le jeune homme de Moussoul, et demeurèrent d’accord de tout ce qu’il venait de dire du Nil, du Caire et de tout le royaume d’Égypte. Pour moi, j’en eus l’imagination si remplie, que je n’en dormis pas de la nuit. Peu de temps après, mes oncles firent bien connaitre eux-mêmes combien ils avoient été frappés du discours de mon père. Ils lui proposèrent de faire tous ensemble le voyage d’Égypte : il accepta la proposition ; et comme ils étaient de riches marchands, ils résolurent de porter avec eux des marchandises qu’ils y pussent débiter. J’appris qu’ils faisaient les préparatifs de leur départ : j’allai trouver mon père ; je le suppliai, les larmes aux yeux, de me permettre de l’accompagner et de m’accorder un fonds de marchandises pour en faire le débit moi-même. « Vous êtes encore trop jeune, me dit-il, pour entreprendre le voyage d’Égypte : la fatigue en est trop grande ; et de plus, je suis persuadé que vous vous y perdriez. » Ces paroles ne m’ôtèrent pas l’envie de voyager ; j’employai le crédit de mes oncles auprès de mon père : ils obtinrent enfin que j’irais seulement jusqu’à Damas, où ils me laisseraient pendant qu’ils continueraient leur voyage jusqu’en Égypte. « La ville de Damas, dit mon père, a aussi ses beautés, et il faut qu’il se contente de la permission que je lui donne d’aller jusque-là. » Quelque désir que j’eusse de voir l’Égypte, après ce que je lui en avois oui dire, il était mon père, je me soumis à sa volonté.
« Je partis donc de Moussoul avec mes oncles et lui. Nous traversâmes la Mésopotanaie ; nous passâmes l’Euphrate ; nous arrivâmes à Alep, où nous séjournâmes peu de jours ; et de là nous nous rendîmes à Damas, dont l’abord me surprit très-agréablement. Nous logeâmes tous dans un même khan. Je vis une ville grande, peuplée, remplie de beau monde et très-bien fortifiée. Nous employâmes quelques jours à nous promener dans tous ces jardins délicieux qui sont aux environs, comme nous le pouvons voir d’ici ; et nous convînmes que l’on avait raison de dire, que Damas était au milieu d’un paradis. Mes oncles enfin songèrent à continuer leur route ; ils prirent soin auparavant de vendre mes marchandises ; ce qu’ils firent si avantageusement pour moi, que j’y gagnai cinq cent pour cent, Cette vente produisit une somme considérable, dont je fus ravi de me voir possesseur.
« Mon père et mes oncles me laissèrent donc à Damas, et poursuivirent leur voyage. Après leur départ, j’eus une grande attention à ne pas dépenser mon argent inutilement. Je louai néanmoins une maison magnifique : elle était toute de marbre, ornée de peintures à feuillages d’or et d’azur ; elle avait un jardin où l’on voyoit de très-beaux jets d’eau. Je la meublai, non pas à la vérité aussi richement que la magnificence du lieu le demandait, mais du moins assez proprement pour un jeune homme de ma condition. Elle avait autrefois appartenu à un des principaux seigneurs de la ville, nommé Modoun Abdalraham, et elle appartenait alors à un riche marchand joaillier, à qui je n’en pajois que deux scherifs [1]par mois. J’avois un assez grand nombre de domestiques ; je vivais honorablement, je donnais quelquefois à manger aux gens avec qui j’avois fait connaissance, et quelquefois j’allais manger chez eux : c’est ainsi que je passais le temps à Damas en attendant le retour de mon père. Aucune passion ne troublait mon repos ; et le commerce des honnêtes gens faisait mon unique occupation.
« Un jour que j’étais assis à la porte de ma maison, et que je prenais le frais, une dame fort proprement habillée, et qui paraissait fort bien faite, vint à moi, et me demanda si je ne vendais pas des étoffes ? En disant cela, elle entra dans le logis…
En cet endroit, Scheherazade voyant qu’il était jour, se tut ; et la nuit suivante, elle reprit la parole dans ces termes :

Notes

[1Un scherif est la même chose qu’un sequin. Ce mot est dans nos anciens auteurs.

Le conte suivant : Histoire que raconta le tailleur