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Le conte précédent : Suite de l’histoire de la princesse de la Chine


Histoire des amours de Camaralzaman, prince de l’isle des Enfans de Khaledan, et de Badoure, princesse de la Chine

 La deux cents douzième nuit

SIRE, la réponse du prince Camaralzaman affligea extrêmement le sultan son père. Ce monarque eut une véritable douleur de voir en lui une si grande répugnance pour le mariage. Il ne voulut pas néanmoins la traiter de désobéissance, ni user du pouvoir paternel ; il se contenta de lui dire : « Je ne veux pas vous contraindre là-dessus ; je vous donne le temps d’y penser et de considérer qu’un prince comme vous, destiné à gouverner un grand royaume, doit penser d’abord à se donner un successeur. En vous donnant cette satisfaction, vous me la donnerez à moi-même, qui suis bien aise de me voir revivre en vous et dans les enfants qui doivent sortir de vous. »
Schahzaman n’en dit pas davantage au prince Camaralzaman. Il lui donna entrée dans les conseils de ses états, et lui donna d’ailleurs tous les sujets d’être content qu’il pouvait désirer. Au bout d’un an, il le prit en particulier. « Eh bien, mon fils, lui dit-il, vous êtes-vous souvenu de faire réflexion sur le dessein que j’avois de vous marier dès l’année passée ? Refuserez-vous encore de me donner la joie que j’attends de votre obéissance ; et voulez-vous me laisser mourir sans me donner cette satisfaction ? »
Le prince parut moins déconcerté que la première lois, et il n’hésita pas longtemps à répondre en ces termes, avec fermeté : « Sire, dit-il, je n’ai pas manqué d’y penser avec l’attention que je devais ; mais après y avoir pensé mûrement, je me suis confirmé davantage dans la résolution de vivre sans m’engager dans le mariage. En effet, les maux infinis que les femmes ont causés de tout temps dans l’univers, comme je l’ai appris pleinement dans nos histoires, et ce que j’entends dire chaque jour de leur malice, sont des motifs qui me persuadent de n’avoir de ma vie aucune liaison avec elles. Ainsi, votre Majesté me pardonnera si j’ose lui représenter qu’il est inutile qu’elle me parle davantage de me marier. » Il en demeura là, et quitta le sultan son père brusquement, sans attendre qu’il lui dît autre chose.
Tout autre monarque que le roi Schahzaman auroit eu de la peine à ne pas s’emporter, après la hardiesse avec laquelle le prince son fils venait de lui parler, et à ne pas l’en faire repentir ; mais il le chérissait, et il voulait employer toutes les voies de douceur avant de le contraindre. Il communiqua à son premier ministre le nouveau sujet de chagrin que Camaralzaman venait de lui donner. « J’ai suivi votre conseil, lui dit-il ; mais Camaralzaman est plus éloigné de se marier qu’il ne l’était la première fois que je lui en parlai ; et il s’en est expliqué en des termes si hardis, que j’ai eu besoin de ma raison et de toute ma modération pour ne me pas mettre en colère contre lui. Les pères qui demandent des enfants avec autant d’ardeur que j’ai demandé celui-ci, sont autant d’insensés qui cherchent à se priver eux-mêmes du repos dont il ne tient qu’à eux de jouir tranquillement. Dites-moi, je vous prie, par quels moyens je dois ramener un esprit si rebelle à mes volontés ? »
« Sire, reprit le grand visir, on vient à bout d’une infinité d’affaires avec la patience ; peut-être que celle-ci n’est pas d’une nature à y réussir par cette voie ; mais votre Majesté n’aura point à se reprocher d’avoir usé d’une trop grande précipitation, si elle juge à propos de donner une autre année au prince pour se consulter lui-même. Si dans cet intervalle il rentre dans son devoir, elle en aura une satisfaction d’autant plus grande, qu’elle n’aura employé que la bonté paternelle pour l’y obliger. Si au contraire il persiste dans son opiniâtreté, alors quand l’année sera expirée, il me semble que votre Majesté aura lieu de lui déclarer en plein conseil, qu’il est du bien de l’état qu’il se marie. Il n’est pas croyable qu’il vous manque de respect à la face d’une compagnie célèbre que vous honorez de votre présence. »
Le sultan, qui désirait si passionnément de voir le prince son fils marié, que les moments d’un si long délai lui paraissaient des années, eut bien de la peine à se résoudre à attendre si longtemps. Il se rendit néanmoins aux raisons de son grand visir, qu’il ne pouvait désapprouver…
Le jour qui avait déjà commencé à paraître, imposa silence à Scheherazade en cet endroit. Elle reprit la suite du conte la nuit suivante, et dit au sultan Schahriar :

Le conte suivant : Histoire de Marzavan, avec la suite de celle de Camaralzaman