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Histoire que raconta le tailleur

 La cent soixantième nuit

SIRE, la vieille dame continuant de rapporter au jeune homme malade d’amour, l’entretien qu’elle avait eu avec la fille du cadi :
« Vous vous souvenez bien, madame, ajoutai-je, avec quelle rigueur vous me traitâtes dernièrement, lorsque je voulus vous parler de sa maladie, et vous proposer un moyen de le délivrer du danger où il était : je retournai chez lui après vous avoir quittée ; et il ne connut pas plutôt en me voyant, que je ne lui apportais pas une réponse favorable, que son mal redoubla. Depuis ce temps-là, madame, il est prêt à perdre la vie, et je ne sais si vous pourriez la lui sauver quand vous auriez pitié de lui. »
« Voilà ce que je lui dis, ajouta la vieille. La crainte de votre mort l’ébranla, et je vis son visage changer de couleur. » « Ce que vous me racontez, dit-elle, est-il bien vrai ? Et n’est-il effectivement malade que pour l’amour de moi ? » « Ali, madame, repartis-je, cela n’est que trop véritable ! Plût à Dieu que cela fût faux ! » « Et croyez-vous, reprit-elle, que l’espérance de me voir et de me parler, pût contribuer à le tirer du péril où il est ? » « Peut-être bien, lui dis-je ; et si vous me l’ordonnez, j’essayerai ce remède. » « Hé bien, répliqua-t-elle en soupirant, faites-lui donc espérer qu’il me verra ; mais il ne faut pas qu’il s’attende à d’autres faveurs, à moins qu’il n’aspire à m’épouser, et que mon père ne consente à notre mariage. » « Madame, m’écriai-je, vous avez bien de la bonté : je vais trouver ce jeune seigneur, et lui annoncer qu’il aura le plaisir de vous entretenir. « « Je ne vois pas un temps plus commode à lui faire cette grâce, dit-elle ; que vendredi prochain, pendant que l’on fera la prière de midi. Qu’il observe quand mon père sera sorti pour y aller, et qu’il vienne aussitôt se présenter devant la maison, s’il se porte assez bien pour cela. Je le verrai arriver par ma fenêtre, et je descendrai pour lui ouvrir. Nous nous entretiendrons durant le temps de la prière, et il se retirera avant le retour de mon père. »
« Nous sommes au mardi, continua la vieille : vous pouvez jusqu’à vendredi reprendre vos forces, et vous disposer à cette entrevue. » À mesure que la bonne dame parlait, je sentais diminuer mon mal, ou plutôt je me trouvai guéri à la fin de son discours.
« Prenez, lui dis-je, en lui donnant ma bourse qui était toute pleine : c’est à vous seule que je dois ma guérison ; je tiens cet argent mieux employé que celui que j’ai donné aux médecins, qui n’ont fait que me tourmenter pendant ma maladie. »
« La dame m’ayant quitté, je me sentis assez de force pour me lever. Mes parents, ravis de me voir en si bon état, me firent des compliments, et se retirèrent chez eux.
« Le vendredi matin, la vieille arriva dans le temps que je commençais à m’habiller , et que je choisissais l’habit le plus propre de ma garde-robe. « Je ne vous demande pas, me dit-elle, comme vous vous portez : l’occupation où je vous vois, me fait assez connaitre ce que je dois penser là-dessus ; mais ne vous baignerez-vous pas avant que d’aller chez le premier cadi ? » « Cela consumerait trop de temps, lui répondis-je ; je me contenterai de faire venir un barbier, et de me faire raser la tête et la barbe. » Aussitôt j’ordonnai à un de mes esclaves d’en chercher un qui fût habile dans sa profession, et fort expéditif.
« L’esclave m’amena ce malheureux barbier que vous voyez, qui me dit, après m’avoir salué : « Seigneur, il me paraît à votre visage que vous ne vous portez pas bien. » Je lui répondis que je sortais d’une maladie. « Je souhaite, reprit-il, que Dieu vous délivre de toutes sortes de maux, et que sa grâce vous accompagne toujours. » « J’espère, lui repliquai-je, qu’il exaucera ce souhait, dont je vous suis fort obligé. » « Puisque vous sortez d’une maladie, dit-il, je prie Dieu qu’il vous conserve la santé. Dites-moi présentement de quoi il s’agit ; j’ai apporté mes rasoirs et mes lancettes : souhaitez-vous que je vous rase, ou que je vous tire du sang ? » « Je viens de vous dire, repris-je, que je sors de maladie ; et vous devez bien juger que je ne vous ai fait venir que pour me raser ; dépêchez-vous, et ne perdons pas le temps à discourir, car je suis pressé, et l’on m’attend à midi précisément… »
Scheherazade se tut en achevant ces paroles, à cause du jour qui paraissait. Le lendemain, elle reprit son discours de cette manière :

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