- La cent quatre-vingt sixième, p2
- La cent quatre-vingt septième, p3
- La cent quatre-vingt huitième, p4
- La cent quatre-vingt neuvième, p5
- La cent quatre-vingt dixième, p6
- La cent quatre-vingt onzième, p7
- La cent quatre vingt douzième, p8
- La cent quatre-vingt treizième, p9
- La cent quatre-vingt quatorziè, p10
- La cent quatre-vingt quinzième, p11
- La deux cents deuxième nuit, p12
- La deux cents troisième (...), p13
- La deux cents quatrième (...), p14
- La deux cents cinquième (...), p15
- La deux cents sixième nuit, p16
- La deux cents septième nuit, p17
- La deux cents huitième nuit, p18
- La deux cents neuvième nuit, p19
- La deux cents dixième nuit, p20
- La deux cents onzième nuit, p21
La deux cents troisième nuit
SCHEMSELNIHAR dit encore plusieurs autres choses obligeantes au joaillier, après quoi elle se retira dans son palais. Le joaillier alla sur-le-champ rendre compte de cette visite au prince de Perse, qui lui dit en le voyant : « Je vous attendais avec impatience. L’esclave confidente m’a apporté une lettre de sa maîtresse, mais cette lettre ne m’a point soulagé. Quoi que me puisse mander l’aimable Schemselnihar, je n’ose rien espérer, et ma patience est à bout. Je ne sais plus quel conseil prendre ; le départ d’Ebn Thaher me met au désespoir. C’était mon appui : j’ai tout perdu en le perdant. Je pouvais me flatter de quelque espérance par l’accès qu’il avait auprès de Schemselnihar. »
À ces mots, que le prince prononça avec tant de vivacité, qu’il ne donna pas le temps au joaillier de lui parler, le joaillier lui dit : « Prince, on ne peut prendre plus de part à vos maux que j’en prends ; et si vous voulez avoir la patience de m’écouter, vous verrez que je puis y apporter du soulagement. » À ce discours, le prince se tut et lui donna audience. « Je vois bien, reprit alors le joaillier, que l’unique moyen de vous rendre content, est de faire en sorte que vous puissiez entretenir Schemselnihar en liberté. C’est une satisfaction que je veux vous procurer, et j’y travaillerai dès demain. Il ne faut point vous exposer à entrer dans le palais de Schemselnihar : vous savez par expérience que c’est une démarche fort dangereuse. Je sais un lieu plus propre à cette entrevue, et où vous serez en sûreté. » Comme le joaillier achevait ces paroles, le prince l’embrassa avec transport. « Vous ressuscitez, dit-il, par cette charmante promesse, un malheureux amant qui s’était déjà condamné à la mort. À ce que je vois, j’ai pleinement réparé la perte d’Ebn Thaher. Tout ce que vous ferez, sera bien fait ; je m’abandonne entièrement à vous. »
Après que le prince eut remercié le joaillier du zèle qu’il lui faisait paraître, le joaillier se retira chez lui, où, dès le lendemain matin, la confidente de Schemselnihar le vint trouver. Il lui dit qu’il avait fait espérer au prince de Perse, qu’il pourrait voir bientôt Schemselnihar. « Je viens exprès, lui répondit-elle, pour prendre là-dessus des mesures avec vous. Il me semble, continua-t-elle, que cette maison serait assez commode pour cette entrevue. « « Je pourrais bien, reprit-il, les faire venir ici ; mais j’ai pensé qu’ils seront plus en liberté dans une autre maison que j’ai, où actuellement il ne demeure personne. Je l’aurai bientôt meublée assez proprement pour les recevoir. » « Cela étant, repartit la confidente, il ne s’agit plus à l’heure qu’il est, que d’y faire consentir Schemselnihar. Je vais lui en parler, et je viendrai vous en rendre réponse en peu de temps. »
Effectivement elle fut fort diligente ; elle ne tarda pas à revenir, et elle rapporta au joaillier, que sa maîtresse ne manquerait pas de se trouver au rendez-vous vers la fin du jour. En même-tems, elle lui mit entre les mains une bourse, en lui disant que c’était pour acheter la collation. Il la mena aussitôt à la maison où les amans dévoient se rencontrer, afin qu’elle sût où elle était, et qu’elle y pût amener sa maîtresse ; et dès qu’ils se furent séparés, il alla emprunter chez ses amis de la vaisselle d’or et d’argent, des tapis, des coussins fort riches, et d’autres meubles, dont il meubla cette maison très-magnifiquement. Quand il y eut mis toute chose en état, il se rendit chez le prince de Perse.
Représentez-vous la joie qu’eut le prince, lorsque le joaillier lui dit qu’il le venait prendre pour le conduire à la maison qu’il avait préparée pour le recevoir lui et Schemselnihar. Cette nouvelle lui fit oublier ses chagrins et ses souffrances. Il prit un habit manifique, et sortit sans suite avec le joaillier, qui le fit passer par plusieurs rues détournées, afin que personne ne les observât, et l’introduisit enfin dans la maison, où ils commencèrent à s’entretenir jusqu’à l’arrivée de Schemselnihar.
Ils n’attendirent pas longtemps cette amante trop passionnée. Elle arriva après la prière du soleil couché avec sa confidente et deux autres esclaves. De pouvoir vous exprimer l’excès de joie dont les deux amants furent saisis à la vue l’un de l’autre, c’est une chose qui ne m’est pas possible ! Ils s’assirent sur le sofa, et se regardèrent quelque temps sans pouvoir parler, tant ils étaient hors d’eux-mêmes. Mais quand l’usage de la parole leur fut revenu, ils se dédommagèrent bien de ce silence. Ils se dirent des choses si tendres, que le joaillier, la confidente et les deux esclaves en pleurèrent. Le joaillier néanmoins essuya ses larmes pour songer à la collation, qu’il apporta lui-même. Les amans burent et mangèrent peu ; après quoi s’étant tous deux remis sur le sofa, Schemselnihar demanda au joaillier, s’il n’avait pas un luth ou quelqu’autre instrument. Le joaillier qui avait eu soin de pourvoir à tout ce qui pouvait lui faire plaisir, lui apporta un luth. Elle mit quelques moments à l’accorder, et ensuite elle chanta…
Là s’arrêta Scheherazade, à cause du jour qui commençait à paraître. La nuit suivante, elle poursuivit ainsi :