Le prince Houssain ne put voir le quartier où il se trouva sans admiration : il était vaste, coupé et traversé par plusieurs rues toutes voûtées contre l’ardeur du soleil, et néanmoins très-bien éclairées. Les boutiques étaient d’une même grandeur et d’une même symétrie, et celles des marchands d’une même sorte de marchandise n’étaient pas dispersées, mais rassemblées dans une même rue, et il en était de même des boutiques des artisans.
La multitude des boutiques, remplies d’une même sorte de marchandise, comme des toiles les plus fines de différents endroits des Indes, des toiles peintes des couleurs les plus vives qui représentaient au naturel des personnages, des paysages, des arbres, des fleurs, des étoffes de soie et de brocard, tant de la Perse que de la Chine et d’autres lieux, des porcelaines du Japon et de la Chine, des tapis de pied de toutes les grandeurs, le surprirent si extraordinairement, qu’il ne savait s’il devait s’en rapporter à ses propres yeux. Mais quand il fut arrivé aux boutiques des orfèvres et des joailliers, car les deux professions étaient exercées par les mêmes marchands, il fut comme ravi en extase à la vue de la quantité prodigieuse d’excellents ouvrages en or et en argent, et comme ébloui par l’éclat des perles, des diamants, des rubis, des émeraudes, des saphirs et d’autres pierreries qui y étaient en vente et en confusion. S’il fut étonné de tant de richesses réunies en un seul endroit, il le fut bien davantage quand il vint à juger de la richesse du royaume en général, en considérant qu’à la réserve des Brahmines [4] et des ministres des idoles, qui faisaient profession d’une vie éloignée de la vanité du monde, il n’y avait dans toute son étendue ni Indien ni Indienne qui n’eût des colliers, des bracelets et des ornements aux jambes et aux pieds, des perles ou des pierreries, qui paraissaient avec d’autant plus d’éclat, qu’ils étaient tous noirs, d’un noir à en relever parfaitement le brillant.
Une autre particularité qui fut admirée par le prince Houssain, fut le grand nombre de vendeurs de roses, qui faisaient la plus grande foule dans les rues par leur multitude. Il comprit qu’il fallait que les Indiens fussent grands amateurs de cette fleur, puisqu’il n’y en avait pas un qui n’en portât un bouquet à la main, ou à la tête en guirlande, ni de marchand qui n’en eût plusieurs vases garnis dans sa boutique, de manière que le quartier, si grand qu’il était, en était tout embaumé.
Le prince Houssain, enfin, après avoir parcouru le quartier de rue en rue, l’idée remplie de tant de richesses qui s’étaient présentées à ses yeux, eut besoin de se reposer. Il le témoigna à un marchand, et le marchand fort civilement l’invita à entrer et à s’asseoir dans sa boutique, ce qu’il accepta. Il n’y avait pas long-temps qu’il était assis dans la boutique, quand il vit passer un crieur avec un tapis sur le bras d’environ six pieds en quarré, qui le criait à trente bourses à l’enchère. Il appela le crieur, et il demanda à voir le tapis, qui lui parut d’un prix exorbitant, non-seulement pour sa petitesse, mais même pour sa qualité. Quand il eut bien examiné le tapis, il dit au crieur qu’il ne comprenait pas comment un tapis de pied si petit et de si peu d’apparence, était mis à un si haut prix ?
Le crieur, qui prenait le prince Houssain pour un marchand, lui dit pour réponse :
« Seigneur, si ce prix vous paraît excessif, votre étonnement sera beaucoup plus grand quand vous saurez que j’ai ordre de le faire monter jusqu’à quarante bourses, et de ne le livrer qu’à celui qui en comptera la somme. »
« Il faut donc, reprit le prince Houssain, qu’il soit précieux par quelqu’endrait qui ne m’est pas connu. »
« Vous l’avez deviné, Seigneur, repartit le crieur, et vous en conviendrez quand vous saurez qu’en s’asseyant sur ce tapis, aussitôt on est transporté avec le tapis où l’on souhaite d’aller, et l’on s’y trouve presque dans le moment, sans que l’on soit arrêté par aucun obstacle. »