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Histoire du prince Ahmed, et de la fée Pari-Banou

Le prince Ahmed ne répondit rien à ce discours de la fée ; mais pénétré de reconnaissance, il crut ne pouvoir mieux la lui marquer qu’en s’approchant pour lui baiser le bas de sa robe. Elle ne lui en donna pas le temps ; elle lui présenta la main qu’il baisa ; et en retenant et en serrant la sienne :
« Prince Ahmed, dit-elle, ne me donnez-vous pas votre foi, comme je vous donne la mienne ? »
« Eh, madame, reprit le prince ravi de joie, que pourrais-je faire de mieux et qui me fît plus de plaisir ? Oui, ma sultane, ma reine, je vous la donne avec mon cœur, sans réserve. »
« Si cela est, repartit la fée, vous êtes mon époux, et je suis votre épouse. Les mariages ne se contractent pas parmi nous avec d’autres cérémonies : ils sont plus fermes et plus indissolubles que parmi les hommes, nonobstant les formalités qu’ils y apportent. Présentement, poursuivit-elle, pendant qu’on préparera le festin de nos noces pour ce soir, et comme apparemment vous n’avez rien pris d’aujourd’hui, on va vous apporter de quoi faire un léger repas, après quoi je vous ferai voir les appartements de mon palais, et vous jugerez s’il n’est pas vrai, comme je vous l’ai dit, que ce salon en est la moindre pièce. »
Quelques-unes des femmes de la fée, qui étaient entrées dans ce salon avec elle, et qui comprirent quelle était son intention, sortirent, et peu de temps après apportèrent quelques mets et d’excellent vin.
Quand le prince Ahmed eut mangé et bu autant qu’il voulut, la fée Pari-Banou le mena d’appartement en appartement, où il vit le diamant, le rubis, l’émeraude et toutes sortes de pierreries fines, employés avec les perles, l’agate, le jaspe, le porphyre, et toutes sortes de marbres les plus précieux, sans parler des ameublements qui étaient d’une richesse inestimable : le tout employé avec une profusion si étonnante, que bien loin d’avoir rien vu d’approchant, il avoua qu’il ne pouvait rien y avoir de pareil au monde.
« Prince, lui dit la fée, si vous admirez si fort mon palais, qui, à la vérité, a de grandes beautés, que diriez-vous du palais des chefs de nos génies, qui sont tout autrement beaux, spacieux et magnifiques ? Je pourrais vous faire admirer aussi la beauté de mon jardin ; mais, ajouta-t-elle, ce sera pour une autre fois : la nuit approche, et il est temps de nous mettre à table. »
La salle où la fée fit entrer le prince Ahmed, et où la table était servie, était la dernière pièce du palais qui restait à faire voir au prince ; elle n’était pas inférieure à aucune de toutes celles qu’il venait de voir. En entrant, il admira l’illumination d’une infinité de bougies parfumées d’ambre, dont la multitude, loin de faire de la confusion, était dans une symétrie bien entendue, qui faisait plaisir à voir. Il admira de même un grand buffet chargé de vaisselle d’or, que l’art rendait plus précieuse que la matière ; plusieurs chœurs de femmes, toutes d’une beauté ravissante et richement habillées, qui commencèrent un concert de voix et de toutes sortes d’instrumens les plus harmonieux qu’il eût jamais entendus. Ils se mirent à table ; et comme Pari-Banou prit un grand soin de servir au Prince Ahmed des mets les plus délicats, qu’elle lui nommoit à mesure, en l’invitant à en goûter ; et comme le prince n’en avoit jamais entendu parler, et qu’il les trouvoit exquis, il en faisoit l’éloge, en s’écriant que la bonne chère qu’elle lui faisoit faire, surpassoit toutes celles que l’on faisoit parmi les hommes. Il se récria de même sur l’excellence du vin qui lui fut servi, dont ils ne commencèrent à boire, la fée et lui, qu’au dessert, qui n’était que de fruits, que de gâteaux et d’autres choses propres à le faire trouver meilleur.
Après le dessert enfin, la fée Pari-Banou et le prince Ahmed s’éloignèrent de la table, qui fut emportée sur-le-champ, et s’assirent sur le sofa à leur commodité, le dos appuyé de coussins d’étoffe de soie à grands fleurons de différentes couleurs : ouvrage à l’aiguille d’une grande délicatesse. Aussitôt un grand nombre de génies et de fées entrèrent dans la salle, et commencèrent un bal des plus surprenants, qu’ils continuèrent jusqu’à ce que la fée et le prince Ahmed se levèrent. Alors les génies et les fées, en continuant de danser, sortirent de la salle, et marchèrent devant les nouveaux mariés, jusqu’à la porte de la chambre où le lit nuptial étoit préparé. Quand ils y furent arrivés, ils se rangèrent en haie pour les laisser entrer ; après quoi ils se retirèrent, et les laissèrent dans la liberté de se coucher.
La fête des noces fut continuée le lendemain ; ou plutôt les jours qui en suivirent la célébration, furent une fête continuelle que la fée Pari-Banou, à qui la chose était aisée, sut diversifier par de nouveaux ragoûts et de nouveaux mets dans les festins, de nouveaux concerts, de nouvelles danses, de nouveaux spectacles et de nouveaux divertissements, tous si extraordinaires, que le prince Ahmed n’eût pu se les imaginer en toute sa vie parmi les hommes, quand elle eût été de mille ans.
L’intention de la fée ne fut pas seulement de donner au prince des marques essentielles de la sincérité de son amour et de l’excès de sa passion ; elle voulut aussi lui faire connaître par-là que comme il n’avait plus rien à prétendre à la cour du sultan son père, et qu’en aucun endroit du monde, sans parler de sa beauté, ni des charmes qui l’accompagnaient, il ne trouverait rien de comparable au bonheur dont il jouissait auprès d’elle, il devait s’attacher à elle entièrement, et ne s’en séparer jamais. Elle réussit parfaitement dans ce qu’elle s’était proposé : l’amour du prince Ahmed ne diminua pas par la possession ; il augmenta au point qu’il n’était plus en son pouvoir de cesser de l’aimer, quand elle-même elle eût pu se résoudre à ne plus l’aimer.
Au bout de six mois, le prince Ahmed, qui avoit toujours aimé et honoré le sultan son père, conçut un grand désir d’apprendre de ses nouvelles ; et comme il ne pouvoit se satisfaire qu’en s’absentant pour en aller apprendre lui-même, il en parla à Pari-Banou dans un entretien, et il la pria de vouloir bien le lui permettre. Ce discours alarma la fée, et elle craignit que ce ne fût un prétexte pour l’abandonner ; elle lui dit :
« En quoi puis-je vous avoir donné du mécontentement, pour vous obliger à me demander cette permission ? Serait-il possible que vous eussiez oublié que vous m’avez donné votre foi, et que vous ne m’aimassiez plus, moi qui vous aime si passionnément ? Vous devez en être bien persuadé par les marques que je ne cesse de vous en donner. »
« Ma reine, reprit le prince Ahmed, je suis très-convaincu de votre amour, et je m’en rendrais indigne si je ne vous en témoignais pas ma reconnaissance par un amour réciproque. Si vous êtes offensée de ma demande, je vous supplie de me le pardonner y il n’y a pas de réparation que je ne sois prêt à vous en faire. Je ne l’ai pas faite pour vous déplaire : je l’ai faite uniquement par un motif de respect envers le sultan mon père, que je souhaiterais de délivrer de l’affliction où je dois l’avoir plongé par une absence si longue : affliction d’autant plus grande, comme j’ai lieu de le présumer, qu’il ne me croit plus en vie. Mais puisque vous n’agréez pas que j’aille lui donner cette consolation, je veux ce que vous voulez, et il n’y a rien au monde que je ne sois prêt à faire pour vous complaire. »

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