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Histoire du prince Ahmed, et de la fée Pari-Banou

Pendant que le crieur informait le prince Ahmed des vertus à la pomme artificielle, plusieurs personnes s’arrêtèrent et les environnèrent ; la plupart confirmèrent tout le bien qu’il en disait ; et comme l’un d’eux eut témoigné qu’il avait un ami malade si dangereusement, qu’on n’espérait plus rien de sa vie, et que c’était une occasion présente et favorable pour en faire voir l’expérience au prince Ahmed, le prince Ahmed prit la parole, et dit au crieur qu’il en donnerait quarante bourses si elle guérissait le malade en la lui faisant sentir.
Le crieur qui avait ordre de la vendre ce prix là :
« Seigneur, dit-il au prince Ahmed , allons faire cette expérience, la pomme sera pour vous ; et je le dis avec d’autant plus de confiance, qu’il est indubitable qu’elle ne fera pas moins son effet que toutes les fois qu’elle a été employée pour faire revenir des portes de la mort tant de malades dont la vie était désespérée. »
L’expérience réussit ; et le prince, après avoir compté les quarante bourses au crieur qui lui consigna la pomme artificielle, attendit avec grande impatience le départ de la première caravane pour retourner aux Indes. Il employa ce temps-là à voir à Samarcande et aux environs tout ce qui était digne de sa curiosité, et principalement la vallée de la Sogde, ainsi nommée de la rivière du même nom, qui l’arrose, et que les Arabes reconnaissent pour l’un des quatre paradis de l’univers, par la beauté de ses campagnes et de ses jardins accompagnés de palais, par sa fertilité en toutes sortes de fruits, et par les délices dont on y jouit dans la belle saison.
Le prince Ahmed enfin ne perdit pas l’occasion de la première caravane qui prit la route des Indes. Il partit ; et nonobstant les incommodités inévitables dans un long voyage, il arriva en parfaite santé au gîte où les princes Houssain et Ali l’attendaient.
Le prince Ali arrivé quelque temps avant le prince Ahmed, avait demandé au prince Houssain, qui était venu le premier, combien il y avait de temps qu’il était arrivé ? Comme il eut appris de lui qu’il y avait près de trois mois :
« Il faut donc, reprit-il, que vous ne soyez pas allé bien loin ? »
« Je ne vous dirai rien présentement, repartit le prince Houssain, du lieu où je suis allé ; mais je puis vous assurer que j’ai mis plus de trois mois à m’y rendre. »
« Si cela est, répliqua le prince Ali, il faut donc que vous y ayez fait fort peu de séjour ? »
« Mon frère, lui dit le prince Houssain, vous vous trompez : le séjour que j’y ai fait a été de quatre à cinq mois, et il n’a tenu qu’à moi de le faire plus long. »
« À moins que vous ne soyez revenu en volant, reprit encore le prince Ali, je ne comprends pas comment il peut y avoir trois mois que vous êtes de retour, comme vous voulez me le faire accroire ? »
« Je vous ai dit la vérité, ajouta le prince Houssain ; et c’est une énigme dont je ne vous donnerai l’explication qu’à l’arrivée du prince Ahmed, notre frère, en déclarant en même temps quelle est la rareté que j’ai rapportée de mon voyage. Pour vous, je ne sais pas ce que vous avez rapporté, il faut que ce soit peu de chose : en effet, je ne vois pas que vos charges soient augmentées. » « Et vous, prince, reprit le prince Ali, à la réserve d’un tapis d’assez peu d’apparence, dont votre sofa est garni, et dont vous paraissez avoir fait acquisition, il me semble que je pourrais vous rendre raillerie pour raillerie. Mais comme il semble que vous voulez faire un mystère de la rareté que vous avez rapportée, vous trouverez bon que j’en use de même à l’égard de celle dont j’ai fait acquisition. »
Le prince repartit :
« Je tiens la rareté que j’ai apportée si fort au-dessus de toute autre, quelle qu’elle puisse être, que je ne ferais pas de difficulté de vous la montrer, et de vous en faire tomber d’accord en vous déclarant par quel endroit je la tiens telle, sans craindre que celle que vous apportez, comme je le suppose, puisse lui être préférée. Mais il est à propos que nous attendions que le prince Ahmed, notre frère, soit arrivé ; alors nous pourrons nous faire part avec plus d’égard et de bienséance les uns pour les autres, de la bonne fortune qui nous sera échue. »
Le prince Ali ne voulut pas entrer plus avant en contestation avec le prince Houssain sur la préférence qu’il donnait à la rareté qu’il avait apportée ; il se contenta d’être bien persuadé que si le tujau qu’il avait à lui montrer n’était pas préférable, il n’était pas possible au moins qu’il fût inférieur, et il convint avec lui d’attendre à le produire que le prince Ahmed fût arrivé.
Quand le prince Ahmed eut rejoint les deux princes ses frères, qu’ils se furent embrassés avec beaucoup de tendresse, et fait compliment sur le bonheur qu’ils avoient de se revoir dans le même lieu où ils s’étaient séparés, le prince Houssain, comme l’aîné, prit la parole, et dit :
« Mes frères, nous aurons du temps de reste à nous entretenir des particularités chacun de son voyage ; parlons de ce qui nous est le plus important de savoir ; et comme je tiens pour certain que vous vous êtes souvenus comme moi du principal motif qui nous y a engagés, ne nous cachons pas ce que nous apportons ; et nous le montrant, faisons-nous justice par avance, et voyons auquel le sultan notre père pourra adjuger la préférence. » Pour donner l’exemple, continua le prince Houssain, je vous dirai que la rareté que j’ai rapportée du voyage que j’ai fait au royaume de Bisnagar, est le tapis sur lequel je suis assis : il est commun et sans apparence, comme vous le voyez ; mais quand je vous aurai déclaré quelle est sa vertu, vous serez dans une admiration d’autant plus grande, que jamais vous n’avez rien entendu de pareil ; et vous allez en convenir. En effet, tel qu’il vous paraît, si l’on est assis dessus, comme nous y sommes, et que l’on désire d’être transporté en quelque lieu, si éloigné qu’il puisse être, on se trouve dans ce lieu presque dans le moment. J’en ai fait l’expérience avant de compter les quarante bourses qu’il m’a coûtées, sans les regretter ; et quand j’eus satisfait ma curiosité pleinement à la cour et dans le royaume de Bisnagar, et que je voulus revenir, je ne me suis pas servi d’autre voiture que de ce tapis merveilleux pour me ramener ici, moi et mon domestique, qui peut vous dire combien de temps j’ai mis à m’y rendre. Je vous en ferai voir l’expérience à l’un et à l’autre quand vous le jugerez à propos. J’attends que vous m’appreniez si ce que vous avez apporté, peut entrer en comparaison avec mon tapis ? »
Le prince Houssain acheva en cet endroit d’exalter l’excellence de sou tapis ; et le prince Ali, en prenant la parole, la lui adressa en ces termes :
« Mon frère, dit-il, il faut avouer que votre tapis est une des choses les plus merveilleuses que l’on puisse imaginer, s’il a, comme je ne veux pas en douter, la propriété que vous venez de nous dire. Mais vous avouerez qu’il peut y avoir d’autres choses, je ne dis pas plus, mais au moins aussi merveilleuses dans un autre genre ; et pour vous en faire tomber d’accord, continua-t-il, le tuyau d’ivoire que voici, non plus que votre tapis, à le voir, ne paroît pas une rareté qui mérite une grande attention. Je n’en ai pas moins payé cependant que vous de votre tapis, et je ne suis pas moins content de mon marché que vous l’êtes du vôtre. Équitable comme vous l’êtes, vous tomberez d’accord que je n’ai pas été trompé, quand vous saurez et que vous en aurez vu l’expérience, qu’en regardant par un des bouts, on voit tel objet que l’on souhaite de voir. Je ne veux pas que vous m’en croyiez sur ma parole, ajouta le prince Ali en lui présentant le tuyau : voilà le tuyau, voyez si je vous en impose ? »

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